Retour sur la théorie de l’imprévision au regard du nouveau livre 5 du Code Civil

Construction
12/10/2022
Le palais de la Nation à Bruxelles

Suite notamment à la guerre en Ukraine et à la pandémie de Coronavirus, l’augmentation des différents coûts de production d’un bien ou de construction d’un ouvrage est de plus ...

Suite notamment à la guerre en Ukraine et à la pandémie de Coronavirus, l’augmentation des différents coûts de production d’un bien ou de construction d’un ouvrage est de plus en plus difficile à supporter.

Hasard du calendrier ou non, il s’avère que le législateur a décidé d’adopter le nouveau livre 5 du Code Civil et, ce faisant, a consacré par la grande porte l’existence de la théorie de l’imprévision en droit belge.

1. Etat des lieux avant l’adoption du livre 5 du Code Civil

Durant des décennies, de nombreux auteurs ont souhaité que la théorie de l’imprévision soit intégrée au droit belge.

« Le débiteur qui est aux prises avec un bouleversement de l’économie contractuelle, pourrait ainsi obtenir, selon les cas, que le Juge révise la convention ou qu’il constate ou prononce sa dissolution » .

Néanmoins, la Cour de Cassation a largement montré sa méfiance face à la théorie de l’imprévision .

La raison du rejet de cette théorie peut se résumer comme suit : « La théorie de l'imprévision, si elle a été consacrée par certaines lois particulières, n’est pas un principe de droit commun qui régit toutes les obligations conventionnelles : le Code Civil s’inspire tout entier de la doctrine de l’autonomie de la volonté et proclame à l’égal d’un dogme, la force obligatoire et l’intangibilité du contrat ; aux termes de l’article 1134, dont certains auteurs ont souligné à juste titre le caractère énergique, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » .

En synthèse, aux yeux de la jurisprudence, la convention formant la loi que les parties ont décidé de s’imposer, si celles-ci ont omis d’y prévoir une clause consacrant l’imprévision, il n’y a pas lieu de s’écarter du contrat.

Toutefois, soulignons que le législateur est intervenu au travers de diverses lois spécifiques et dérogatoires au droit commun et a admis dans certaines situations la résiliation ou la révision du contrat.

Cependant, en l’absence de théorie générale de l’imprévision, nous ne pouvons que rappeler l’importance de faire inscrire au sein du contrat une clause appropriée et généralement dite de Hardship afin de pouvoir faire face aux situations d’imprévision .

2. Apports du nouveau livre 5 du Code Civil

En raison de l’adoption du livre 5 du Code Civil sobrement intitulé « Les obligations » et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023, le législateur a consacré l’existence de la théorie de l’imprévision.

L’article 5.74 dénommé « Changement de circonstances » dispose que :

« Chaque partie doit exécuter ses obligations quand bien même l’exécution en serait devenue plus onéreuse, soit que le coût de l’exécution ait augmenté, soit que la valeur de la contre-prestation ait diminué.

Toutefois, le débiteur peut demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin lorsque les conditions suivantes sont réunies :

1° un changement de circonstances rend excessivement onéreuse l'exécution du contrat de sorte qu'on ne puisse raisonnablement l'exiger ;

2° ce changement était imprévisible lors de la conclusion du contrat ;

3° ce changement n'est pas imputable au débiteur au sens de l'article 5.225 ;

4° le débiteur n'a pas assumé ce risque et

5° la loi ou le contrat n'exclut pas cette possibilité.

Les parties continuent à exécuter leurs obligations pendant la durée des renégociations.

En cas de refus ou d'échec des renégociations dans un délai raisonnable, le Juge peut, à la demande de l'une ou l'autre des parties, adapter le contrat afin de le mettre en conformité avec ce que les parties auraient raisonnablement convenu au moment de la conclusion du contrat si elles avaient tenu compte du changement de circonstances, ou mettre fin au contrat en tout ou en partie à une date qui ne peut être antérieure au changement de circonstances et selon des modalités fixées par le Juge.  L'action est formée et instruite selon les formes du référé ».

En résumé, la révision ou la dissolution du contrat en raison d’un changement de circonstances doit, pour le législateur, rester l’exception.

Ainsi, l’application du second alinéa de cette disposition nécessite de se trouver face à des circonstances exceptionnelles afin de ne pas trop porter atteinte au principe de la convention-loi .

C’est pourquoi le législateur a prévu que plusieurs conditions cumulatives doivent être rencontrées pour que le débiteur puisse demander au créancier de renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin.

A cet égard, l’avocat peut analyser chaque situation et déterminer au mieux la possibilité d’application de cette disposition.  Cela étant, il est toujours préférable de prévoir d’emblée une clause de Hardship dans le contrat.

[1] WÉRY, P., « La théorie générale du contrat», Rép. not., T. IV, Les obligations, Livre 1/1, Bruxelles, Larcier, 2020, n° 1019, p.1087

[2] Cass., 19 mai 1921, Pas., 1921, I, p. 380. et Cass., 14 avril 1994, Pas., I, p.365

[3] Civ. Gand, 21 juin 1933, B.J., 1934, col. 48

[4] VAN OMMESLAGHE P., « §1. - L’exécution des contrats » in Tome II –Les obligations, 1édition, Bruxelles, Bruylant, 2013, p.817

[5] van Zuylen, J., « Le changement de circonstances et l’inexécution fortuite du contrat » in Jafferali, R. (dir.), Le Livre 5 du Code Civil et le nouveau droit des contrats, 1ère édition, Bruxelles, Larcier, 2022, p. 284

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